La Journée mondiale du bégaiement (JMB), célébrée le 22 octobre dans le monde entier, offre l’occasion aux personnes vivant avec ce trouble de la communication de faire entendre leur voix.
Comme c’est la tradition depuis quelques années, je partage mon expérience avec ce trouble que je vis depuis l’âge de 4 ans. Cette année 2023 a été particulièrement marquante car depuis le décès de mon père il y a un an (que Dieu ait pitié de son âme), je me trouve propulsé au rang de chef de famille. Billay Wallay !
En tant que bon « taaw bou goor » (l’aîné), je me retrouve avec de nouvelles responsabilités qui étaient précédemment assumées par mon père. Je deviens l’interlocuteur des autres membres de la famille, devant présider les réunions familiales, les baptêmes, les mariages, et bien d’autres cérémonies. Cependant, je suis loin d’avoir les mêmes compétences en communication que mon père. Pour ceux qui le connaissent, ce grand homme, enseignant de profession, était habitué à s’exprimer devant diverses assemblées. De plus, il maîtrisait parfaitement le poular (notre langue maternelle) et le wolof, qu’il maniait avec une aisance inégalée.
En ce qui me concerne, le contraste est saisissant. De nature plutôt taciturne, mon travail ne me confronte que rarement à la communication en public. Mes journées se déroulent devant des écrans d’ordinateur, et mes échanges professionnels se font principalement par écrit, via des e-mails ou WhatsApp. Cette zone de confort n’améliore malheureusement pas mon expression orale. Pour compliquer les choses, ma maîtrise du poular est déficiente. Ainsi, avec ces nouvelles responsabilités, chaque mot, chaque phrase représente un défi. Comme lors du baptême de la fille de ma petite sœur.
Un beau matin, après avoir donné naissance à une jolie petite fille, ma sœur m’a dit : « Légui ya fi sounou papa, yaye touddou khalé bi » (Désormais, c’est toi notre père ici, c’est à toi de donner un prénom au bébé). Eskey, tey mou nékh !
J’ai appréhendé ce moment pendant des jours. Les rituels d’initiation et les prières pour le bébé ne posaient pas de problème, car ils se faisaient en silence. Mais comment allais-je annoncer le prénom du bébé ? Pour compliquer davantage la situation, ce prénom commençait par un « M », une lettre qui, tout comme les « A », me causait souvent des difficultés. Thiey Yalla ! Rien que le simple fait de prononcer des mots commençant par la lettre « M » me posait souvent problème.
Pourtant, le prénom choisi par les parents pour leur précieuse fille était « Moussou, » un prénom magnifique qui, malheureusement, représentait un vrai défi pour moi. Comment allais-je contourner le blocage du « M » ? Il n’y avait pas de synonyme que je pouvais utiliser pour m’en sortir, pas de « Oussou » ni de « Toutou, » il fallait prononcer « Moussou ». Héé Dieu ! Le bébé aurait dû être un garçon rek, cela aurait été plus simple, on l’aurait appelé « Oussou, » diminutif de « Ousmane » (Sonko ?). Mais non, c’était « Moussou » !
Le jour du baptême, j’étais assis devant l’assemblée, une salle remplie de proches et de membres de ma famille. Les mains moites, je tenais le bébé devant moi. Je savais que ce moment serait à la fois joyeux et délicat. Tous les regards étaient fixés sur moi, et je me sentais à la fois honoré et inquiet à l’idée d’annoncer le prénom du bébé. Dans ma tête, je me répétais : « Pas de discours à rallonge, pas de préambules, rien de tout ça. Exécute les rituels traditionnels, annonce le nom du bébé, puis passe la parole aux autres. »
Le moment redouté approchait. J’ai pris une profonde inspiration, me remémorant les techniques apprises au fil des ans pour gérer mon bégaiement. Je savais que la clé était de rester calme et de parler lentement.
« Elle s’appelle M… Moussou… »
Miracle… J’avais réussi à prononcer ce prénom sans trop d’encombre. La lettre « M » était sortie en douceur, comme si les anges avaient compris l’importance de l’occasion. Cependant, je dois admettre que ce jour-là, j’avais eu chaud, en plein mois de janvier.
Tous différents, chacun son chemin
Le thème de cette 26e édition est « Tous différents, chacun son chemin, » signifiant que chaque personne atteinte de bégaiement est unique, et que son parcours pour gérer et surmonter ce trouble peut varier. Le bégaiement affecte les gens de différentes manières, et il est essentiel de reconnaître et de respecter ces différences.
Chacun trouve sa propre voie pour faire face au bégaiement, que ce soit par le biais de la thérapie, de la confiance en soi ou d’autres méthodes. À cet égard, l’Association pour la prise en charge du bégaiement Sénégal (APBS) accomplit un travail remarquable qui mérite le soutien des autorités publiques.
Ainsi, en cette Journée mondiale du bégaiement, je tiens à rappeler que, même si parler est une chose banale pour la plupart des gens, pour une personne bègue, cela peut représenter un véritable défi. Cependant, avec de la persévérance, de l’amour et le soutien de nos proches, nous pouvons surmonter ces obstacles et continuer à célébrer les moments précieux de la vie avec fierté.
Arouna BA
Nouveau chef de famille
arounaba1@gmail.com