L’intelligence artificielle (IA) générative transforme en profondeur le paysage des médias. Une enquête publiée le 6 février 2025 par Next et Libération met en évidence l’émergence d’une multitude de sites d’information automatisés, utilisant l’IA pour produire du contenu à grande échelle. Ces nouveaux acteurs, perçus comme des « parasites » par la presse traditionnelle, suscitent un débat houleux sur la concurrence, l’éthique et l’avenir du journalisme.
Une ruée vers l’or digitale ?
Selon l’enquête de Next et Libération, plus de 1 000 sites francophones utilisant l’IA ont été recensés. Ces plateformes exploitent les mécanismes de Google Discover pour capter du trafic et monétiser leur audience via l’affiliation et la vente de liens. Contrairement aux rédactions traditionnelles, ces sites ne visent pas à informer mais à maximiser les revenus.
Les journalistes s’alarment de cette prolifération qui menace leur profession en détournant une partie de leur audience et en diffusant parfois du contenu plagié ou non sourcé. Selon Jean-Marc Manach, auteur de l’enquête, ces médias « polluent » le web et faussent la concurrence en reprenant les articles des grands titres.
« Une nouvelle ruée vers l’or se déroule sur Internet. Des entrepreneurs rusés, profitant des coûts dérisoires et des performances de l’intelligence artificielle générative, inondent actuellement le web de petits « sites d’actualités » où sont publiés, de manière automatisée, des contenus tantôt paraphrasés, tantôt plagiés, quand ils ne sont pas simplement inventés. » – Libération
Une concurrence jugée déloyale
Pour les journalistes, ces médias IA profitent des failles de l’algorithme de Google pour s’imposer dans le paysage numérique, au détriment des acteurs historiques. Selon Florent Rimbert, responsable du pôle développement numérique de l’Apig, cette pratique représente une menace directe pour l’économie de la presse.
L’impact de ces sites est d’autant plus troublant qu’une partie de leurs articles erronés se retrouvent cités comme sources sur des plateformes de référence comme Wikipedia.
« Nous leur avons depuis transmis la liste des 1 066 sites GenAI identifiés à ce jour : 443 sont mentionnés comme « sources » et notes de bas de page sur Wikipédia, soit plus de 40 % du total. » – Next
Face à cette montée en puissance, Libération et Next ont contacté Google pour signaler les sites suspects et demander leur suppression des résultats de recherche.
Les éditeurs IA ripostent
De leur côté, les entrepreneurs du web ne se laissent pas faire et réfutent les accusations de la presse traditionnelle. Ils dénoncent une hypocrisie des rédactions, qui n’hésitent pas elles-mêmes à recourir à l’IA et à des stratégies de monétisation similaires.
« Ce sont les médias traditionnels qui, les premiers, sont venus nous concurrencer sur nos métiers. […] On nous reproche de la paraphrase sans citation ? Mais les journaux le font chaque jour entre eux ! » – Tremplin Numérique
Sur X (Twitter), de nombreux professionnels du SEO et de l’édition digitale ont pris la parole pour souligner que l’information n’est plus l’apanage des journalistes et que le secteur doit s’adapter à l’évolution technologique.
Jeter en pature et sans discernement des éditeurs de sites, avec les conséquences dramatiques que ça peut avoir, montre l’état d’esprit lamentable d’une profession en crise profonde, qui ne survit que grâce aux subventions publiques et aux mauvaises pratiques généralisées.… https://t.co/lsJHTjWBaG
— David Chelly (@onlinestratfr) February 8, 2025
Jeter en pature et sans discernement des éditeurs de sites, avec les conséquences dramatiques que ça peut avoir, montre l’état d’esprit lamentable d’une profession en crise profonde, qui ne survit que grâce aux subventions publiques et aux mauvaises pratiques généralisées.
Certains des éditeurs cités sont innovants et produisent une certaine valeur ajoutée, beaucoup plus en tous cas que l’auteur de l’enquête qui croit avoir découvert l’Amérique ou l’immonde Reworld Media qui multiplie les prix et les récompenses, alors que leurs pratiques sont le comble de la tromperie et du cynisme.
Le problème de fond est amha qu’internet a rendu la presse obsolète, comme les agents de change, les agences de voyage et beaucoup d’autres métiers. Au lieu d’ouvrir les yeux et de se transformer, les acteurs en place multiplient les patchs inutiles, les pratiques misérables et jouent les chevaliers blancs.
– David Chelly
Un débat qui divise
Clément Pessaux, expert en SEO et spécialiste de Google Discover, a publié une analyse sur LinkedIn où il critique la vision alarmiste de Libération. Il relativise l’impact réel des sites IA et dénonce une médiatisation excessive du phénomène.
« L’audience des sites IA sur l’actualité « pure » est totalement marginale. Voir un site produire 6000 articles par jour est problématique, mais si son audience est faible, le problème n’existe pas. » – Clément Pessaux
Il souligne également que la presse traditionnelle a bien d’autres défis à relever que la lutte contre les sites IA :
« Je ne vais pas nier qu’il y a une vraie problématique au niveau de la génération de contenu d’actualité avec de l’IA. Mais la presse doit évoluer et ce ne sera pas quelques sites insignifiants qui changeront quoi que ce soit. » – Clément Pessaux
IA et presse : une cohabitation possible ?
Ce débat soulève une question centrale : faut-il réguler l’usage de l’IA dans l’édition de contenu ? Si la presse traditionnelle veut survivre, elle devra innover et adapter ses modèles économiques sans rejeter en bloc ces nouveaux outils. L’IA est aujourd’hui une réalité incontournable, et l’avenir du journalisme dépendra de la manière dont elle sera intégrée au processus de production de l’information.
La solution ne réside sans doute pas dans une opposition frontale entre journalistes et sites IA, mais plutôt dans une réflexion commune sur la déontologie, la qualité de l’information et l’évolution des médias à l’ère numérique.