Le Senegal a officiellement quitté ce vendredi 25 Octobre la liste grise du Groupe d’Action Financière (GAFI), un moment clé pour l’économie sénégalaise qui survient à un moment où le pays fait face à des défis économiques importants, notamment la récente dégradation de sa note par Moody’s. Cette évolution contraste avec les préoccupations liées à la montée de la dette publique, un déficit budgétaire élevé, et une croissance économique qui peine à retrouver son rythme d’avant-crise. Si cette sortie de la liste des jurisdictions placées en surveillance renforcée est perçue comme une bouffée d’oxygène notamment pour les investissements étrangers, elle soulève également des interrogations quant à l’efficacité du recouvrement des deniers publics détournés et placés dans des comptes au Moyen Orient et en Asie.
Un Effort Législatif Payant
La sortie de la liste grise du GAFI qui est une excellente nouvelle est la conclusion d’un processus entamé depuis plusieurs années, avec des réformes significatives mises en place par le Sénégal pour aligner son cadre législatif sur les normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT). Ces réformes incluent l’adoption de la loi n°2024-08 en février dernier, qui oblige les entreprises et autres structures juridiques à identifier et à déclarer leurs bénéficiaires effectifs. Cette loi, accompagnée d’un registre centralisé de ces informations, vise à assurer une transparence accrue et à prévenir les détournements financiers dans les circuits économiques formels.
Des avancées ont également été réalisées pour inclure dans la loi des dispositions spécifiques aux Prestataires de Services d’Actifs Virtuels (PSAV), un secteur en pleine expansion qui présente des vulnérabilités notables pour le blanchiment d’argent et les Professionnels Non Financiers Désignés (DNFP) . En renforçant ses capacités dans le domaine des sanctions et en augmentant la surveillance des transactions, le Sénégal a pris des mesures décisives pour répondre aux recommandations du GAFI et atteindre les standards internationaux. Ces efforts ont porté leurs fruits, le GAFI reconnaissant les « progrès significatifs » effectués par le pays lors de sa dernière évaluation.
Une Nouvelle Attractivité pour les Investissements Étrangers
Dans un contexte de turbulences économiques marqué par l’abaissement de la note de crédit par Moody’s, cette sortie de la liste grise est une excellente nouvelle qui apporte une lueur d’espoir pour le climat des affaires au Sénégal. En effet, le fait de ne plus figurer sur cette liste pourrait renforcer la confiance des investisseurs et attirer des capitaux étrangers, notamment dans des secteurs stratégiques comme le pétrole et le gaz. Les virements ne seront plus systématiquement stoppées si d’autres facteurs de risques ne sont pas décelés. Avec des projets d’exploitation minière, pétrolière et gazière en développement, cette avancée pourrait inciter davantage d’acteurs financiers internationaux à investir dans le pays, favorisant ainsi la croissance de son économie malgré les difficultés budgétaires actuelles.
Les experts estiment que cette décision pourrait aussi permettre un accès plus favorable aux marchés financiers internationaux, réduisant potentiellement les coûts d’emprunt pour le Sénégal. La stabilité relative apportée par cette sortie de la liste grise pourrait se traduire par une plus grande attractivité des obligations sénégalaises, un élément crucial pour un pays dont la dette publique atteint désormais près de 74 % du PIB, en augmentation par rapport aux années précédentes.
Des Inquiétudes sur la Lutte contre la Corruption et le Blanchiment de Capitaux
Si cette sortie de liste est une victoire pour l’image du Sénégal et pour son administration très compétente, elle pourrait néanmoins réduire la pression internationale pour renforcer la transparence et la lutte contre la criminalité financière. En effet, certains observateurs craignent que cette décision affaiblisse la surveillance des transactions financières et diminue les efforts pour le recouvrement des avoirs détournés par les anciens régimes. Le Sénégal, avec une économie où l’informel représente une part importante, pourrait être exposé à des risques accrus de flux financiers illicites surtout lorsque l’on considère le contexte sous régional marqué par les tensions au sahel, le trafic des narcotiques et autres facteurs exogènes.
En outre, bien que la nouvelle législation ait été saluée pour sa rigueur, sa mise en œuvre reste un défi, surtout dans les secteurs où la traçabilité des fonds est plus difficile à assurer. Selon les analystes, la coopération entre les institutions nationales et les partenaires internationaux devra être renforcée pour garantir que le système financier sénégalais reste protégé contre les risques de blanchiment d’argent et d’autres crimes financiers.
Une Économie en Recherche d’Équilibre
La sortie de la liste grise du GAFI est certes une bonne nouvelle, mais elle intervient dans un contexte de défis économiques importants. La récente dégradation de la note par Moody’s reflète une situation budgétaire tendue. En 2023, le déficit public du Sénégal a atteint des niveaux alarmants, dépassant les 10 % du PIB, ce qui a entraîné des avertissements de la part des partenaires internationaux. Cette situation a également suscité des appels à une gouvernance budgétaire plus stricte et à un renforcement des mesures d’austérité pour réduire le fardeau de la dette et retrouver une stabilité financière.
Face à ces défis, le gouvernement sénégalais a engagé un audit général de ses finances publiques pour identifier les faiblesses structurelles et définir des pistes de réforme. Cette démarche devrait permettre au Sénégal de redresser ses finances tout en assurant un climat propice aux investissements, une démarche essentielle pour préserver sa compétitivité régionale et mondiale. Le président sénégalais a souligné la nécessité de mesures immédiates pour assainir les finances publiques, une action qui pourrait être facilitée par la levée des contraintes imposées par la surveillance du GAFI.
Perspectives d’Avenir
Alors que le Sénégal célèbre cette sortie de la liste grise, l’avenir économique du pays dépendra de la capacité du gouvernement à conjuguer attractivité des investissements et gestion rigoureuse des finances publiques. Pour nombre d’analystes, le Sénégal a désormais l’opportunité d’assainir et de consolider sa position de place financière, de bénéficier des acquis de ses réformes tout en veillant à ne pas relâcher ses efforts en matière de transparence et de lutte contre la corruption. Les prochaines années seront déterminantes pour transformer cette bonne nouvelle en moteur de développement durable et équilibré, dans un contexte mondial de plus en plus exigeant en matière de conformité, de gestion du risque et de gestion responsable des finances publiques.
Abdoulaye Faye (Expert Financier)
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